• LIBERTE DU 05/11/2013

    L’évolution de la terminologie à travers les temps

    La corruption éducative

    Par : Dr MALIKA REBAÏ MAÂMRI (*)

    L’expression “donner un pot-de-vin” qui est apparue au début du XVIe siècle, avait une connotation très innocente. Elle signifiait simplement “donner un pourboire”, ce que les Anglais appellent “tip”. Cependant, avec l’évolution des temps, et l’évolution des “langages”, ce terme anglais est devenu ce qu’on appelle dans notre dialecte “chipa”. Ce pot, qui dans le temps, pouvait être soit le liquide lui-même (le vin ou la bière), soit quelques pièces de monnaie, a gagné une valeur symbolique chez nous.

    L’esprit de corruption innerve toutes les sphères. La corruption transgresse les frontières du droit et de la morale. Elle évoque des pratiques malhonnêtes touchant l’argent, certes, mais à mon sens, ce genre de corruption est “bénin”. La vraie corruption, celle de l’esprit, s’est bâtie sur des bases beaucoup plus profondes. Elle s’est infiltrée dans le cœur du corrompu et a empoisonné son être. Dès l’instant où le respect de soi et de l’autre disparaît, dès qu’il y a abandon de dignité, il y a corruption.
    Ce phénomène de corruption semble se généraliser dans tous les pans de la toile éducative : dessous de table, falsification, détournement de fonds, népotisme, rétribution en échange de bienveillance, piratage d’e-mails, nous avons là une vraie banque mondiale de la corruption.  
    On distinguera deux sortes de corruption active : celle qui consiste à proposer de l’argent et celle qui consiste à offrir un service à une personne qui détient un pouvoir en échange d'un avantage indu. C’est ce deuxième aspect, que je qualifierai “d’héroïne”, que je souhaiterais analyser à l’occasion de la journée de la corruption. Pour ce faire, il est inutile de se référer au Transparency international, ce fameux baromètre mondial de la corruption, concentrons-nous sur ce qui nous touche de près, le Transparency national. On parle souvent de drogue dans les établissements scolaires mais on ne fait pas cas de la drogue la plus dangereuse dans un système éducatif, la corruption des éducateurs. Les institutions éducatives sont la garantie du gouvernement d’un peuple libre contre la corruption des moeurs, or de nos jours, elles ne jouent plus leur rôle. Elles offrent comme modèles illustres des barons(nes) voleurs/euses et des profiteurs/euses.
    Il est dramatique que dans des établissements dont la mission est de former le citoyen de demain, on puisse acheter des consciences : on y vend des certificats de scolarité, des modules, des diplômes ; on monnaye des postes de responsabilité, des bourses (résidentielles ou autres) à l’étranger. On réserve même des logements de fonction, dont les locataires ont quitté les lieux depuis des années, à des parents proches pendant que ceux à qui ces logements reviennent de droit se voient contraints de payer des loyers exorbitants pour s’abriter.
    Microsoft a introduit dans ses systèmes d’exploitation un système d’identification des utilisateurs. Mais les mouchards ne sont pas seulement dans les systèmes informatiques, ils opèrent partout ailleurs. Quelle différence faites-vous entre espionnage, ciblage, engrenage et broyage ? Moi, aucune. Au lieu de bouquinage, certains établissements se sont dotés, en toute transparence, de logiciels espions pour intercepter tout ce qui se passe sur les lieux. C’est tout un processus qui est mis en marche. Au fil de l’investigation, les “bestioles” déploient d’innombrables mandibules et tissent une toile complexe, telles des araignées. En clair, qu’importent les menues infractions au respect de la vie privée de quelques collègues quand il s’agit de grimper les échelons.
    Les recrues pour ce genre de “noble” tâche vivent des moments symboliques, voire solennels car s’ils ne “réussissent” pas, ils sont considérés comme des ratés. Donc, il ne faut pas rater l’occasion de réussir. Et dans cette escalade vers le haut, tous les stratagèmes sont bons : manipulation, mensonges, magouilles, diabolisation et/ou atteinte à la réputation des collègues, rien ne les arrête. Certains, plus machiavéliques que d’autres, n’hésitent pas à pousser certaines cibles au suicide. Les informations, souvent fausses ou maquillées, divulguées par ces écouteurs de masse, pourtant comblent d’aise ceux à qui elles sont destinées. Alors qu’importe, se disent ces Spywares, il faut rendre service à ceux qui le leur demandent ! Ils creusent et au lieu de faire de la recherche scientifique, ils s’adonnent à la recherche maléfique ! Ainsi, ces camelots croient avoir fait leurs preuves et réussi leur vie. Cela devient une vraie question de “to be or not to be” (Shakespeare).
    En ce moment, les medias parlent beaucoup de corruption concernant les cours particuliers dans le secteur de l’éducation. Il est vrai que plusieurs enseignants ne font pas leur travail en classe et se remplissent les poches avec les cours particuliers, mais il ne faut pas généraliser. Il y a quand même des enseignants très honnêtes ! Ceux-là donnent des cours particuliers, pas spécialement dans leur établissement, non pas pour s’enrichir mais pour, par exemple,  payer leur loyer car leur salaire ne leur permet pas de faire face à toutes les dépenses.
    Pourquoi ne pas parler plutôt de certaines formes de corruption très sophistiquées concernant l’évaluation des étudiants ? Dans certaines universités, on ne corrige pas les copies des étudiants, et oui cela fait trop de travail ! Comment sont-ils notés alors ? Celui/celle qui est censé(e) enseigner les valeurs a perdu tout sens des valeurs.
    Premier système d’évaluation : une fois à la maison, il/elle jette les copies des étudiants en l’air, celles qui tombent sur le lit ont droit à la moyenne, celles qui tombent sur l’armoire obtiennent la note maximale et le pauvre étudiant dont la copie atterrira sous le lit… est recalé. Oui on peut dire que la réussite est un coup de chance !
    Une deuxième stratégie d’évaluation, très en vogue, consisterait à faire plusieurs piles de copies et ici, à titre d’exemple, la première pile bénéficierait d’un 18/20, la deuxième d’un 16/20, et cela va décrescendo et là aussi le malchanceux risque de récolter une note éliminatoire et même un 00/20 alors que ses réponses sont plus justes que celui qui a eu la meilleure note. Époustouflante corruption, n’est-ce pas ?
    De tels comportements au sein d’établissements qui se disent voués à la formation des générations futures ont de quoi inquiéter. Cela signifie que plus rien n’a de valeur en soi et que le sens des responsabilités sociales ou spirituelles a disparu. Lorsqu’il n’y a plus que la corruption pour se sentir exister, c’est qu’on a construit un rempart contre l’essence même de ce que nous sommes. Est-ce cela bâtir une nation ? Est-ce cela vivre dans une société évoluée ou libérée?

    Comment lutter contre cette corruption  “éducative” ?
    Au moment où les pouvoirs publics appellent à combattre la corruption sous toutes ses formes et à tous les niveaux, la traque devrait commencer par les secteurs éducatifs car ce sont ces secteurs qui sont chargés de la formation des cadres de l’Algérie de demain.
    Il faut penser à des stratégies nationales de lutte contre la corruption. Une charte d’éthique et de déontologie ou bien des poursuites judiciaires ne sont pas “les” remèdes à ce cancer qui métastase notre société. Pour éviter la corruption, une approche holistique induit de prendre les mesures nécessaires pour améliorer le niveau d’intégrité publique, de renforcer la déontologie au sein des institutions éducatives et sans doute aussi de défier les normes sociales qui encouragent la corruption. Ces mesures pour évaluer les besoins d’intervention pour lutter contre la corruption et évaluer leur succès font partie intégrante des efforts de réforme dans notre pays.


    M. R. M.
    (*) Enseignante-chercheus

     

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