• DEPÊCHE / 29/1/14

    ÉVOCATION

    Slimane Azem ou le complice des modestes

    Par : R. Salem

    Il y a 31 ans disparaissait Slimane Azem, à l’âge de 65 ans. Tout comme cheikh El-Hasnaoui, il est considéré comme le père de la chanson kabyle de l’exil.

    Trente et un ans sont déjà passés depuis que Slimane Azem quittait à jamais cette vie évanescente, à l’aurore du 28 janvier 1983, à l’âge de 65 ans, pour rejoindre l’Eternel. Natif du village Agouni Gueghrane, au pied du Djurdjura, le 19 septembre 1918 dans une famille modeste, Slimane Azem côtoya très jeune les bouleversements de l’expulsion et du chagrin en quittant le giron de la Kabylie qui l’a enfanté. Ayant déserté à 12 ans les bancs de l’école, son statut social le contraint à trimer dans une ferme appartenant à un colon afin de satisfaire les besoins de sa famille. À peine adolescent, il s’envola, en 1937, pour la France où il devait accepter, malgré lui, son triste destin, puisque forcé à l’exil. Faisant face à un monde qui se montrera bien souvent très tenace et cruel envers lui, Da Slimane sera aussitôt recruté dans une aciérie de Longwy, dans le département de Meurthe-et-Moselle au nord-est de la France, où il a travaillé durant 2 ans, avant d’être mobilisé à Issoudun (département de l’Indre).
    À sa réforme, en 1940, il rejoindra le métro qu’il évoquera plus tard dans ses lamentations sur l’exclusion, avant de se voir réquisitionné pour le Service du travail obligatoire (STO) pour coudoyer les quartiers de travail de la Rhénanie – une région de l’ouest de l’Allemagne qui doit son nom au Rhin qui la traverse – de 1942 à 1945. À son retour à Paris, il s’affairera dans la gestion d’un café dans le 15e arrondissement. Alors qu’il se produisait pour la première fois en compagnie d’un orchestre amateur, il a été découvert par Mohamed El-Kamal, célèbre chanteur et spécialiste du jazz, qui l’encouragera à se lancer dans son propre répertoire, tout en l’invitant à prendre part à une tournée avec son groupe. En 1951, Da Slimane signe l’enregistrement de sa première chanson, A Moh a Moh, dédiée au poète kabyle Si Moh Ou Mhand. Et c’est ainsi que Madame Sauviat – seule disquaire spécialisée de l’époque – le présente à Ahmed Hachlaf, qui était directeur artistique du répertoire arabe auprès de l’édition Pathé-Marconi.
    Dans une thématique tant évocatrice qu’expressive, Slimane Azem, avec plus d’une centaine de mélodies, d’une diversité existentielle incontestable, a chanté, par la suite, l’identité, la patrie, l’exil, les valeurs sociales ainsi que le sort qui s’est longuement acharné sur sa personne, à tel point qu’il était interdit d’antenne en Algérie, cette terre qui l’a vu naître.
    Dans un élan philosophique, Da Slimane s’interrogeait perpétuellement sur le sens de la vie, les tourments de l’humanité, mais aussi les pressentiments spirituels, le respect mutuel, la reconnaissance de l’autre et divers sujets consubstantiels à la vie politique.
    Un almanach qui incarne, par narration, celui du célèbre poète Si Moh ou Mhand qui marqua la poésie kabyle du XIXe siècle. Un répertoire qui évoque aussi l’image de la société qu’il interprétait,  celle caractérisée par une dislocation illustrée, des bouleversements véhiculés par l’incurie humaine et le musellement des valeurs identitaires et culturelles. Cependant, si l’exil a, certes, fait souffrir Slimane Azem, qui avait vécu dans l’éloignement de la Kabylie natale tel un cauchemar et une expérience chimérique, cette situation difficile lui a tout de même inspiré les plus beaux hymnes à la patrie et des vers inégalés sur la claustration de l’émigré et les déboires auxquels il est contraint. De son exil oscillant, néanmoins concepteur d'une moralité berceuse à nulle autre pareille, Slimane Azem était en perpétuelle quête d'une terre intérieure jamais fixée dans sa fécondité mélodique. Ce drame personnel marque son répertoire musical qui s’articule autour de plusieurs thèmes : l’exil bien évidemment [A Rebbi kec D amaiwen (les oiseaux migrateurs)], mais également la bonne morale [Berka yi tissith n chrab (que je cesse de boire du vin)], la tradition ou la nostalgie (Algérie mon beau pays)… Dans la foulée, soulignons que Slimane Azem est à l’origine de nombreux sketchs comiques avec son comparse cheikh Nordine, comme Madame, encore à boire !,  chanté en français et en kabyle. Tout comme cheikh El-Hasnaoui, il est considéré tel le père de la chanson kabyle de l’exil. D’ailleurs, le premier disque d’or qui lui a été discerné en 1971, en sa qualité de chanteur algérien, en compagnie de Noura, est témoin de cette carrière ô combien glorieuse. Au cours des années 1970, il s’installe à Moissac, un hameau qui lui rappelait sa Kabylie natale et son village Agouni Gueghrane, où il avait le loisir de cultiver et d’entretenir ses figuiers. Nonobstant, la fixité mélodique est paradoxalement le fruit de cette errance harmonieuse qui remplit l'âme meurtrie de son village qui n’a même pas eu la chance d’accueillir sa dépouille, puisque, comble de l’incurie, sa tombe se trouve au cimetière de Moissac (Tarn et Garonne), en France. “À vous les jeunes de mon pays, donnez-moi votre parole d'honneur de continuer ce chemin que j’ai entrepris, bien qu’il soit sinueux, pour me remémorer comme si j'existais toujours”, telle est la dernière expression de Da Slimane, adressée, juste avant sa mort, aux jeunes de sa Kabylie natale. Comme disait Kateb Yacine, “on peut retirer ses terres à un homme, mais on ne peut retirer la terre du cœur d'un homme !”.


    R. S

     

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