• LE MATIN DU 31/1/14

    Centenaire de la Première Guerre mondiale

      Par Le Matin | 31/01/2014 

    Jamais, sans doute, il n'y eut autant d'Algériens morts en un seul endroit : près de 26 000 ! Sans compter les 75 000 blessés ou estropiés à vie. Combien d'Algériens tombés dans l'enfer de Verdun ? Combien d'Algériens tombés dans l'enfer de Verdun ? Mais était-il possible de survivre à Verdun ? Ceux qui en sont revenus, ceux-là qui sont sortis vivants de neuf mois de pilonnage, neuf mois à subir les gaz allemands, puis la déroute et le repli sur la ville, les gaz encore, l’assaut de juin, l’été passé à repousser l’ennemi, Douaumont enfin récupéré en octobre, les Allemands enfin chassés de Verdun en décembre ; neuf mois de batailles sous la pluie, le froid, la neige, le feu et le fer, ravalés à l’état de bête, ceux-là qui sont revenus de Verdun, survivants d’une ville tombeau où furent immolés 306 000 hommes, ceux-là, nos grands-pères anonymes, étaient sortis de la guerre pour entrer dans l’épouvantable tourment des miraculés de l’enfer. Leur tête a bourdonné à jamais de la rumeur sourde des canonnades qui rythmèrent cette apocalypse, de l’incessant pilonnage qui couvrit les gémissements. Toute leur vie ne fut qu'un incessant défilé de nuits hantées par les déflagrations des obus secouant les collines de la Meuse et les eaux du fleuve, sous la clarté livide du ciel des Ardennes. Et l'enfant des années trente qui demandait déjà : "Pourquoi ta guerre ne m’a pas fait roumi, père ? Ils ont juré que sur ta tombe de Verdun viendra pleurer la Marianne avec des clés de notre nouvelle maison de lumière ». Il fallait un autre Verdun pour cette lumière improbable, incertaine, mais comment expliquer que c’est l’idée de la lumière qui nous était indispensable…L’idée de la lumière ! Sans elle, nous aurions eu une vie sans mirages, sans folies... Comment survivre aux cris des agonisants dans les tranchées ? Chaque nuit, dans leur sommeil, il leur semblait entendre le pas des hommes marchant vers la mort, la prière silencieuse des mères – la rumeur d’un siècle embrasé… Il n’y a pas de vie après Verdun, fils ! Il n’y a plus de vie. Juste des nuits d’épouvante et des jours à chasser ses souvenirs…Ces hommes ne savaient pas si le monde libéré se rappellerait de ses indigènes mais, depuis Verdun, ils priaient Dieu pour que le monde se rappelle seulement d’où il vient : d’une victoire sur l’apocalypse ! Verdun, ce ne sera jamais que ça : la fosse commune de la vanité humaine. "Moi, Guillaume, je vois la patrie allemande contrainte à l’offensive et c’est à Verdun, cœur de la France, que vous cueillerez le fruit de vos peines…" Verdun, "cœur de la France" aux yeux de la Prusse ; Verdun, "boulevard moral de la France" aux dires du maréchal Pétain ; Verdun, 143 000 soldats allemands et 163 000 soldats français ou colonisés, fauchés en neuf mois. À cette victoire sur l'apocalypse, l'histoire retiendra que des Algériens ont participé par leur sang. "De toutes les colonies françaises, l'Algérie représente, pour la France, avec l'Afrique occidentale française, la plus grande pourvoyeuse en ressources matérielles et en hommes. (...) Bref, l'Algérie a contribué à nourrir la France à bon compte." C'est ce qu'on lit dans le catalogue de l'exposition organisée en 1996 à Péronne, dans la Somme, à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de Verdun. Et l'enfant des années cinquante qui demandait toujours : "Pourquoi ta guerre ne m’a pas fait roumi, père ? Sur ta tombe de Verdun, père, je n’ai vu qu’une Gitane qui dansait sur nos fantasmes. Quand nous jurions, sur la foi du psaume et du drapeau, que Dieu et l’élu ne nous mentiront pas…" Le survivant de Verdun la voyait, lui, la maison de lumière, et il était seul à la voir, sa patrie introuvable, dans une corbeille en alfa capitonnée de feuilles de figuier, entre le lait et les figues fraîches, entre ses douars oubliés et les serments de Verdun. Il la voyait, et il était seul à la voir, il savait que la neige ne condamnerait pas toujours ses montagnes. Que peuvent la neige et la nuit devant les ardeurs de son soleil, la lumière de son désert, la douceur de ses dunes ? Un siècle plus tard, ces hommes gisent-ils dans nos cœurs ou dans nos amnésies ? En juin 2000, dans ce qui restera sans doute l'une de ses plus perspicaces initiatives, le président Bouteflika s'était rendu à Verdun, rendre visite à ces morts décisifs. "Il fallait déchirer le voile de l'oubli sur la dette de sang qui a scellé le destin de deux peuples, et que plus personne, ni d'un côté ni de l'autre de la Méditerranée, ne peut nier", avait-il dit devant les tombes. "Au premier rang dans les batailles, mais au dernier rang à la victoire, les Algériens ont payé lourdement l'impôt du sang... Mais force est de constater que l'importance de la contribution militaire des Algériens pendant la Seconde Guerre mondiale contraste éloquemment avec le bien faible écho qu'elle reçut dans les médias naguère, comme dans les manuels d'histoire aujourd'hui". Jacques Chirac, qui avait bien reçu le message, avait dû déclarer haut et fort, lors du dîner officiel : "Je rends hommage, ici, à votre souhait de vous rendre à Verdun, où tant et tant des vôtres sont tombés au champ d'honneur, sur la terre de France. Ils sont morts avec leurs compagnons d'armes, pour que nous vivions libres. Les Français ne les ont pas oubliés." Puis, solennel, Bouteflika avait dit : "État nation, modernité, droits de l'Homme et État de droit : ces concepts, nous allons en faire faire le principe directeur de notre pratique politique..." Et l'enfant de 2014 qui demande toujours : "Qu'est-ce qu'un État de droit, grand-père ? Sur ta tombe de Verdun, père, je n’ai vu ...." Mohamed Benchicou

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