• LE SOIR D'ALGERIE DU 10/10/2013

    Actualités : La faillite de l’archéo-syndicalisme ugtiste Par Badr’Eddine Mili Si les classes populaires et les travailleurs ont paru, ces dernières années, plus désemparées que par le passé, sans défense et sans autre recours que l’émeute et la jacquerie, dans un contexte de prédation extrême, sinon de dépècement, pur et simple, du patrimoine économique public par le capitalisme sauvage et les mafias activant dans les méandres de la bureaucratie d’Etat, c’est qu’il y a un problème de fond qui mérite qu’on s’y arrête, pour en cerner les causes historiques et politiques et y apporter des réponses moins formalistes et moins superficielles que celles que certaines plumes bernsteiniennes servent, de temps à autre, à l’opinion, dans le but de la chloroformer. Pourquoi en est-on arrivé à cet état de détresse qui caractérise ces régiments de jeunes chômeurs, de sous-prolétaires et de travailleurs précaires, jetés sur les quais des laissés-pour-compte, livrés à eux-mêmes et démunis des cadres et des moyens partisans et syndicaux qui en auraient porté les revendications et les aspirations sociales ? Par quoi peut-on expliquer ce déficit organique qui a affaibli les luttes des classes populaires et en a, considérablement, réduit la globalité, la centralité et l’impact qui les distinguaient, dans les années 1960-1970, dans un environnement, pourtant, tout aussi autoritariste, répressif et hostile ? Par la distance idéologique et structurelle que les appareils traditionnels ont pris avec leurs préoccupations, surtout dans le secteur économique public ? Par l’émiettement et les divisions qui ont miné les représentations politiques censées parler et agir en leur nom ? Ou, encore, par le changement de nature de l’économie, elle-même, qui ne répond plus aux standards d’une économie productive normale ? La parcellisation, le corporatisme, le spontanéisme et, à la limite, une certaine perte des repères de la culture de combat auxquels on assiste, au niveau de plusieurs paliers de la société algérienne, encouragés par l’achat de la paix sociale, l’arme favorite du régime, trouvent leur origine dans la conjugaison de toutes ces causes. Cela ne signifie pas que les luttes des classes populaires se sont soumises à la fatalité du renoncement. Elles se manifestent, toujours, mais de façon sporadique et désordonnée, comme des feux de paille qui s’allument, rapidement, et s’éteignent, sans laisser de traces, sitôt le gain matériel revendiqué obtenu, d’autant qu’en dehors des entreprises d’Etat et de la Fonction publique où elles sont menées, plus par les syndicats autonomes que par le syndicat officiel, elles ont affaire à un adversaire ou un «partenaire social» qui ont cessé d’être, physiquement visibles. Dans les abysses du capitalisme sauvage et même dans les entreprises privées «légales», il n’y a pas de place pour la syndicalisation ou l’organisation de l’action revendicative. La seule loi en vigueur, dans cette jungle, est celle de l’esclavage. Pour s’en rendre compte, à l’œil nu, il n’y a qu’à se déplacer du côté des parcs de matériaux de construction de la capitale ou de vénérables «hadj» emploient, 12 heures par jour, des enfants de 10 à 15 ans, originaires des lointaines wilayas du pays, dans des travaux hyper-pénibles, en contrepartie d’un sandwich d’oignons et d’un verre de limonade. Pour beaucoup moins que cela, il arrivait, aux premières années de l’indépendance, à l’Etat et à l’UGTA de réagir, promptement et fermement, pour soustraire l’enfance fragile aux réseaux du travail au noir et l’envoyer sur les bancs d’une école qui avait conservé le pouvoir d’attraction de ses lettres de noblesse. A cette époque-là, l’UGTA, dirigée par Rabah Djermane, était un syndicat d’avant-garde, forgé dans le feu de la guerre de Libération nationale, fidèle à sa tradition de lutte anti-capitaliste et anti-féodale, telles qu’enseignée par Aïssat Idir, son fondateur en 1956. L’Union dont de nombreux militants avaient été formés, durant l’occupation, dans les permanences de la CGT, ici et en France, était jalouse de son autonomie vis-a-vis du pouvoir politique et fronçait les sourcils, au moindre soupçon d’instrumentalisation que le comportement de celui-ci aurait, par calcul ou par inadvertance, paru alimenter. Ouvertement nationaliste et progressiste, la ligne qu’elle imprimait à son action était, nettement, revendicative, plus radicale que celle de l’ UGTT tunisienne de Ferhat Hached ou de l’UMT marocaine de Mahdjoub Ben Seddik, placées sous la coupe de la la Confédération internationale des syndicats libres, d’obédience social-démocrate et pro-américaine (CISL) l’UGTA ayant, très tôt, adhéré à la FSM (la Fédération syndicale mondiale réputée marxiste et pro-soviétique). Sa liberté de manœuvre et sa grande influence, elle les tenait de la solide organisation qu’elle avait su mettre en place et dont les piliers étaient les unions locales et les fédérations auxquelles les travailleurs adhéraient sur la base de programmes mûrement réfléchis et démocratiquement débattus. La Fédération des mineurs de Ouali, la Fédération des cheminots de Mazri, la Fédération des travailleurs de la santé d’Oumeziane, la Fédération des enseignants de Fares, l’Union locale d’Alger-Centre et les directions nationales animées par Yahia Abdennour, Djenadi, Kitmane, Demène Debbih, Azzi et bien d’autres leaders, rompus aux batailles syndicales, étaient craintes et respectées pour leur opiniâtreté et leur habileté dans les négociations qu’elles conduisaient, sans trahir le mandat que la base leur confiait. Les alliances que le mouvement ouvrier contractait, par ailleurs, avec les autres expressions militantes des classes populaires, à l’image de celles passées avec le mouvement estudiantin représenté par l’Unea lorsque celle-ci succéda à l’Ugema, se concevaient sous l’enseigne d’une approche unitaire motivée par la seule volonté de faire aboutir le projet commun d’une société de progrès et de justice. Les congrès des travailleurs et des paysans autogestionnaires, réunis en 1964, et les grandes actions de volontariat entreprises, à la même période, par les étudiants, en direction des populations des zones rurales, comme ce fut le cas, lors de la reconstruction du village des Ouadhias, détruit par le napalm, au cours de la guerre, participaient de convergences indépendantes de toute inspiration «venue d’en haut». Le coup d’Etat du 19 juin 1965 avait voulu briser ces convergences à l’instigation de certains dirigeants de «l’Appareil» qui n’avaient cessé d’œuvrer à caporaliser «les organisations de masse», un relais fort convoité pour ses capacités de mobilisation que le pouvoir avait intérêt à avoir de son côté plutôt que contre lui. A cette date, les défenseurs de la ligne autonome et revendicative qui comptaient parmi eux les éléments de la relève, entre autres Ahmed Hamoui, Hachemi Cherif, Brixi, Khaled Benelmouffok, Abdelhak Benhamouda, les plus en vue de la nouvelle génération venue au commandes des fédérations, en compagnie des cadres formés au collège syndical Drareni, résistèrent, farouchement, au rouleau compresseur de Kaïd Ahmed, mais céderont, bientôt, et non sans actions d’éclat — grèves et manifestations — sous les coups de boutoir des ennemis des libertés syndicales qui les remplacèrent par des équipes entrées, de gré ou de force, dans la Maison de l’obéissance, à l’instar de Benikous et autres Belakhdar. 1967 sonna le glas de ce syndicalisme et poussa l’UGTA à se contenter de jouer le rôle d’un adjuvant participatif, obtempérant chaque fois qu’on le requérait, comme à l’époque de la GSE, jusqu’à l’élection de Abdelhak Benhamouda, une parenthèse qui parut, un instant, pouvoir débarrasser la Maison du peuple des fourches caudines des gardiens du temple, mais pas pour longtemps, puisqu’elle se refermera juste après l’assassinat du militant républicain et fondateur du RND authentique qu’il fut. Depuis, prise dans l’œil du cyclone, la vieille organisation dut avaler toutes les couleuvres : jouer aux «jaunes», avaliser la casse des entreprises publiques et l’emprisonnement des cadres gestionnaires, renoncer à défendre les intérêts de tous les travailleurs pour ne s’intéresser qu’aux cols blancs, la clientèle de la caste de privilégiés qui contrôla, désormais, sans opposition et sans alternance, la Centrale qu’elle transforma en tremplin pour les affairistes de tous crins. Les travailleurs et les autres composantes des classes populaires, étranglés par des sentiments d’abandon et de frustration auront tout vu : la mise à la porte de 500 000 ouvriers et employés, la privatisation des plus grandes réussites du patrimoine industriel public, la compromission dans les scandales financiers et l’onction, à peine déguisée, accordée au néolibéralisme dans son offensive contre les équilibres sociaux acquis, depuis 1962, à la sueur du front. Le même silence radio fut observé, lorsqu’il s’était agi de juger, objectivement, la loi sur la réconciliation nationale ou de donner un coup d’arrêt à la politique prédatrice du groupe pro-américain installé à la tête du secteur de l’énergie. Dans l’un comme dans l’autre cas, le pronostic vital de l’UGTA était engagé. Dans la mesure ou nombre de ses militants valeureux, opposés au SIT (le Syndicat islamique des travailleurs) avaient été massacrés par les terroristes intégristes, il eut été logique de voir ce sacrifice peser lourd dans la revendication d’une loi moins inique que celle qui fit passer, par pertes et profits, la résistance des syndicalistes patriotes. En dehors des communiqués de soutien aux décisions tombées «du ciel» ou de ceux dénonçant «la main de l’étranger», les travailleurs n’avaient rien vu venir, du côté de leur direction, qui les aurait rassurés sur sa vigilance face à la prévarication et à la curée dont les ressources nationales firent, longtemps, l’objet, dans l’impunité totale Il avait fallu que le Cnes de Mohamed- Salah Mentouri se substituât aux carences de l’organisation pour que la base finisse par se rendre compte de la faillite consommée d’un archéo-syndicalisme bureaucratique qui avait perdu, depuis longtemps, son aura de représentant de la classe ouvrière. Pendant ce temps, les chefs «syndicalistes» s’employaient à courir après le cumul des honneurs et des prébendes que procurent les postes de sénateurs et de députés qui leur étaient, gracieusement, distribués, non pas en qualité de syndicalistes mais en tant que membres des directions des partis au pouvoir, un mélange des genres qui les entraînera dans l’engrenage des compromissions et des démissions morales les plus honteuses. Pressé dans ses derniers retranchement, ce type de syndicalisme tend, aujourd’hui, de faire dans la diversion, en avançant des propositions populistes et en déclinant, dans une langue de bois rébarbative, à la veille de la tripartite, un texte, pompeusement présenté comme une stratégie, en fait une liste interminable de vœux pieux dont il sait bien qu’ils sont irréalisables après la désertification industrielle à laquelle il contribua, en son temps, par sa coupable impassivité. Une stratégie de développement, en l’occurrence un plan de redressement et de redéploiement industriel ou la production nationale devrait occuper une place centrale, ne pourrait gagner en crédibilité, par rapport aux besoins actuels et à venir de la société, que si elle est proposée par un syndicat indépendant et non pas un faire-valoir cautionnant des programmes préparés dans des cercles d’intérêt fermés, sans débat national, parlementaire ou civil. Dans la position où il se trouve, actuellement, c'est-à-dire celle d’un pompier qui tient la lance pour éteindre les feux qui embrasent le front social, il ne peut s’acquitter d’une telle tâche qui suppose qu’il ait coupé les amarres avec les donneurs d’ordre. Dans la guerre qui oppose les capitalismes algériens, il n’y a pas de place pour le contorsionnisme auquel s’adonne l’UGTA, un contorsionnisme qui l’isole, encore plus, de sa base et de ceux qui espèrent un retour aux origines, la condition sine qua non d’une reconversion, la seule issue qui lui reste dans le cadre d’un pluralisme syndical qui n’a, au demeurant, pas attendu ce jour pour lui ravir une partie de ses troupes. La réduction du taux de syndicalisation que l’organisation a enregistré, au cours de la dernière décennie, constitue, déjà, un gros handicap pour un éventuel sursaut qui exige, si elle veut reprendre l’initiative et regagner sa popularité, un travail autrement plus sérieux que la syndicalisation des imams ! A défaut de ce ressaisissement salutaire, l’histoire jugera que l’UGTA a fait son temps et qu’elle est, elle aussi, promise au musée des antiquités au moment ou – renversement historique des rôles – son homologue tunisienne tient la dragée haute au gouvernement islamiste d’Ennahdha et s’invite à la table des négociations, en ayant en main des atouts maîtres pour parler, en tant que leader d’un large faisceau de forces sociales attachées à un projet de société démocratique et progressiste… entraînant, dans son sillage, le patronat himself ! Triste sort pour une organisation qui avait tout pour continuer les combats de Aïssat Idir, Djermane et Benhamouda qui avaient montré la voie de l’honneur de l’engagement et de la fidélité aux idéaux de la classe ouvrière. Mais par des temps où il fait bon faire la chaîne devant le comptoir des serveurs de soupe et quémander d’inconsistants brevets de reconnaissance internationale, les travailleurs peuvent-ils ajouter foi aux illusions que l’UGTA fait miroiter, par intermittence, au cours du spectacle offert par le club des 3, pour convaincre les impénitents inconditionnels de sa vigueur et de sa capacité à conquérir l’impossible ? Pour répondre à ces fables de marchands de vent, il faut lire les ouvrages que Bourouiba, Farès, Azzi, Yahia Abdennour et d’autres ont consacrés à l’histoire du syndicalisme et du mouvement ouvrier algériens.On y apprendra que la vérité réside dans l’action, pas dans la gesticulation. B. M.
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